The Tracer [ Ealten T. ]

Le soir est tombé depuis longtemps. J'aime ces heures de nuit profonde et déserte tendant vers le matin ; les lumières sont allumées encore puisque Tokyo ne dort jamais. Mais dans les rues, on peut circuler sans avoir à esquiver une mélasse de population pressée. Un vrai bonheur. Sporadiquement, je croise un rider esseulé, poursuivant quelque quête personnelle dans ce Nightmare mourant. En fait-il seulement partie, ou est-ce un Utopien insouciant rentrant de soirée ? Dans la pénombre, je ne peux identifier les paires de trecks qu'ils portent. Puis vous me direz, ils ne sont pas si différents ; sinon cela finit mal pour nous.

Vous ne saurez pas où j'habite, en revanche vous saurez que je me dirigeais vers Shibuya et l'un de mes pélerinages favoris : le Big Bird. Enfin, ce qu'il en reste. Rassurez vous, je n'accordais pas spécialement de valeur ésotérique à ce lieu. Je suis tarée ; pas illuminée. Ce lieu qui fut un jour en ruines, et maintenant réhabilité, débarrassé de toute sa splendeur sauvage pour en faire une mascarade de haut lieu du ride, ce lieu symbolique exerçait sur moi une forme de fascination. Ou peut être quelque sixième sens me disait – ou me faisait rêver – que quelque part dans les entrailles ou les alentours, il resterait quelque trace de splendeur révolue.

Je ne me faisais pas non plus d'illusions. Il y avait peu de chances que ça advienne. Mais j'aime me bercer de rêves, ils sont comme des peluches ou autres grigris mystiques que l'on porte à ses lèvres et que l'on embrasse doucement pour prendre de l'énergie et de la chance ou se souhaiter du courage à soi même comme à du divin.

Je m'ennuie. J'accélère. Ce n'est pas un hasard ni par désir de ride pur que j'ai quitté cette nuit mon antre informatisée, mais tant qu'à être dehors, je laisse l'air pollué de la ville me fouetter le visage avec un ravissement toujours renouvelé, toujours incrédule. Je trace d'un mouvement ininterrompu ; les obstacles ne sont que des variations. Un ravissement m'étreint. Je devrais me calmer, j'arrive aux alentours du Big Bird, et vu que ce lieu n'est plus ce qu'il était, on n'y entre plus comme dans un moulin et je devrais me contenter de rôder aux alentours, histoire de trouver mon contact du jour, Ealten.

Je l'aperçus et m'approchait avant de me stopper à, peut-être, deux mètres ou trois de lui, saluant d'une voix neutre ; pas vraiment du genre à m'embarasser de politesses – à vrai dire je n'y pensais même pas.

« Hey …
Alors comme ça, t'aurais des infos à me proposer ? »

J'avais tendance sans même m'en rendre compte à me tenir de manière plutôt altière, bien droite dans mes trecks ; moyen naturel et inconscient de me faire respecter, probablement. Seule la perspective de quelque scoop, bien que je n'y croyais pas trop, étalait sur mes lèvres un fin sourire curieux tandis que mes mains demeuraient dans les poches de mon sweat trop long. Il faut dire que je voyais mal ce qu'on pourrait trouver par ici que je ne connaissais déjà, mon scepticisme faisant son œuvre pour me blaser légèrement jusqu'à preuve du contraire.