Pour quelques réglages de plus...[pv Jitoki]

- Quartier général du Wall
- Section maintenance technique
- 8h30 du matin

Les locaux du Wall paraissaient toujours les mêmes. Grands couloirs aseptisés, vastes pièces parfaitement rangées, tout pour une efficacité maximum et une liberté d'action décuplée. Un peu tout l'inverse de l'appartement de Kurt en fait. Mais bon, cela ne le dérangeait pas dans le fond, c'était le boulot, il n'avait pas à y vivre...quoique vu le temps qu'il y passait parfois, il ferait peut-être mieux de reconsidérer la question...

En tout cas le coin changeait rarement d'apparence. A moins de la visite d'un très gros officiel auquel cas on faisait encore plus d'efforts, on prenait sinon soin à ce que les lieux soient aptes à recevoir à n'importe quel moment la visite de cameras et autres flots de journalistes et reporters à sensations.

Et ce même dans certains endroits qui n'étaient jamais destinés à voir apparaitre le moindre voyant de camera. Et c'était justement dans un tel lieu que se rendait aujourd'hui Kurt. Il faut dire qu'il y avait rendez-vous. Comme chaque semaine en fait. Et ce pour un check-up d'entretien de synchronisation entre lui et son armure corporelle personnelle. Vu la technologie de pointe développée pour ce genre d'engin, l'ajustement et la stabilité continuelle était tout aussi important que sa conception, aussi l'organisation du Wall veillait scrupuleusement à ce qu'un grand soin soit tenu à cet entretien. Kurt lui-même comprenait bien tout l’intérêt de la chose et s'y pliait donc de bon grès, voir même volontiers. Après tout veiller à ce que son appareil de fonction ne le lâche pas en pleine opération délicate était plutôt une bonne idée. Et puis surtout il profitait de ce moment pour parler avec les gars de la maintenance présents. Comme il n'avait pas encore pu croiser tout le monde dans la vaste organisation qu'était le Wall et ses ramifications, Kurt pouvait ainsi s'y faire de nouvelles connaissances, même s'ils étaient rarement nombreux sur le coup.

C'est donc le sourire aux lèvres qu'il se rendit dans les sous-sols du Metropolitan Office. Oui parce que pour la gestion sécurisée de grands appareils mobiles et l'exercice de leurs fonctions motrices, de simples bureaux d'immeubles étaient quelque peu insuffisants. Sous terre par contre les architectes avaient pu façonner à loisir plusieurs vastes salles d'entrainements et de tests. Bien que de l’intérieur, on ne fasse pas grande différence avec la surface, si ce n'était l'absence de fenêtres.

Kurt se trouva néanmoins plusieurs minutes après l'instant prévu sur les lieux. Il faut dire qu'il passait toujours dans les bureaux en hauteur histoire de saluer un peu tout avant de commencer la journée. Et dés fois cela débordait quelque peu sur son emploi du temps. Mais bon, pour se faire pardonner, il avait emmené avec lui toute une fournée de beignets, ça l'excusait, non? C'est en tout cas en se disant cela qu'il entra dans la salle habituelle tout sourire et boite en main, l'air à la fois inquiétant et étrange avec le contraste que formait son physique inquiétant, le tout accompagné de sa voix sourde, aux propos néanmoins plus légers:

"Salut tout le monde! Désolé pour le retard. Du coup je vous ai ramené ça en prime, servez-vous! Bon, par quoi on va commencer cette fois?"

Jetant un coup d’œil, il fixa surtout son attention sur les techniciens présents, attendant une quelconque réaction ou réponse de leur part alors qu'il posait et ouvrait son présent sur une table toute proche. Il reconnaissait pour la plupart d'entre eux mais un jeune homme à lunettes lui était pour le coup totalement étranger. C'est donc naturellement sur lui qu'il termina son petit tour d'inspection, attendant patiemment la suite.

Une odeur d’huile moteur flottait de façon subtile dans la pièce. Plusieurs véhicules étaient alignés afin d’effectuer une maintenance préventive. On attendait de The Wall une très haute disponibilité et des temps de réponse les plus minimes possibles, quelle que soit la requête. Par conséquent, le matériel n’avait pas le droit de lâcher. Le cycle de vie de chaque pièce de chaque appareil était minutieusement suivi dans une base de données interne à l’organisation. Toutes les procédures étaient définies précisément de façon à ce qu’il n’y ait aucune erreur possible. Cela donnait un environnement de travail très structuré avec autant de rédaction de compte rendu que d’interventions techniques. Mais quand on savait le but de tout cela, la satisfaction du travail correctement accompli était décuplée.

De mon côté, je m’occupais d’une des armures exosquelette d’intervention. Je contrôlais visuellement chaque partie tandis qu’un ordinateur lançait tous les tests sur la partie informatique. Pas de remplacement prévu aujourd’hui mais de la calibration. L’armure se devait de répondre sans la moindre latence aux mouvements de son porteur. Sans cela, une situation de stress pouvait virer rapidement à la catastrophe.

Je regardais ma montre, il me restait encore un peu de temps avant l’arrivée du porteur, Kurt Wagner. J’en profitais pour regraisser proprement les parties articulées. Même s’il s’agissait de haute technologie, ce genre de choses était toujours autant indispensable, tant pour limiter les points de friction que pour prévenir la corrosion des alliages métalliques.

Voyant que mon patient du jour avait quelques minutes de retard, je m’offris royalement une pause-café. Il faut dire qu’ici, mes horaires de travail n’étaient pas toujours des plus classiques. Non pas que ce soit un problème. L’ambiance de concentration qui régnait en ces moments là était étrangement appréciable. La fatigue nous force à redoubler d’attention pour fournir un résultat le plus parfait possible.

Mes divagations prirent fin lorsque Kurt fit son entrée. C’était une personne avec qui j’appréciais travailler : Il savait ce qu’il voulait et l’expliquait de façon claire et précise, tout en gardant une courtoisie des plus professionnelles. Même s’il était hiérarchiquement au-dessus de moi, cela n’avait aucun impact sur la façon dont nous nous parlions.

« Bonjour. Aujourd’hui on revoit les temps de réponse et le niveau de souplesse de chacune des articulations. On fait ça sur place puis on teste sur le parcours habituel. »

Ledit parcours étant un enchainement de couloirs et tunnels une pièce adjacente que l’équipe d’entretien mécanique, moi-même y compris, nous amusions à faire évoluer régulièrement tant pour nous changer les idées que pour éviter que s’instaure une trop grande routine lors des tests.

Acquiesçant aux propos du jeune homme, Kurt vint alors se placer devant son armure, poings sur les hanches, le toisant d'un petit air amusant avec un fin sourire lui donnant presque un air plus cruel qu'autre chose.
Ses propos par contre étaient plus affectifs qu'autre chose alors qu'il semblait s'adresser à la machine elle-même.

"Ok, on va faire comme ça alors, hein On'jin? Que l'on voit de quoi ton bon vieux tas de ferrailles est encore capable!"

On'jin, c'était le nom que Kurt avait donné à son armure servo-assistée. Oui, donner un nom à une machine et lui parler comme à un autre humain, certains pourraient trouver cela bizarre mais Kurt s'en moquait, lui voyait cette machine comme un fidèle allié qui l'avait suivie dans nombre de ses opérations et devenue ainsi un autre de ses frères d'armes. Et quand on a un tantinet d'estime pour les autres, on en a aussi envers le matériel qui vous supporte. C'est ainsi de façon totalement décontractée que Kurt se glissa dans sa seconde enveloppe. Le temps que l'appareil se referme sur lui et tous les voyants s'allumèrent, baignant l'agent dans une douce lumière bleutée. Activant le lancement des programmes après avoir confirmé son identité, il n'eut besoin que de quelques secondes pour pouvoir ensuite se mouvoir. D'abord lentement, il leva un bras puis l'autre. Ce fut ensuite le tour des jambes de se mouvoir puis il lança le tout à l'unisson, partant en une courte petite lancée.

L'avantage dans ce mouvement, c'est que l'exo-armure de Kurt possédait elle aussi ses sortes de propres patins. Une tentative qui avait été faite de répliquer les gestes des Air Trecks avec plus de motorisation et d'envergure. Et cela avait plutôt bien marché ma foi. En tout cas encore aujourd'hui, Kurt sentait le tout lui répondre parfaitement, se pliant au moindre de ses gestes. Afin de tester cela, il se lança alors dans plusieurs gestes répétés assez rapides, enchainant dans le vide coups, prises, glissades et petits sauts. Le tout semblait fluide mais seule l'équipe technique pourrait vraiment dire ce qu'il en était.

Après cette rapide petite démonstration, Kurt se tint finalement immobile avec son armure, attendant tranquillement le résultat des analyses. Et comme toujours avec lui, il en profita pour faire un brin de causette, s'adressant à un peu tout le monde à la ronde pour cela.

"Bon, sinon j'ai un souci les gars. J'ai plus rien à me mettre la dent la nuit après le service coté film ou séries. Du coup je commence à vraiment m'ennuyer au point que les interventions surprises sont presque devenues chouettes. Quelqu'un aurait pas quelque chose à voir à me conseiller?"

L’ordinateur était en train de traiter les données. Ce genre d’armure retournait une telle quantité d’informations que même avec du matériel de pointe, cela prenait du temps, suivant les tests, on se retrouvait facilement avec plusieurs centaines de giga-octets, quand ce n’était pas des téraoctets. Et encore, ça n’était que pour la communication avec l’extérieur. Tous les composants de l’armure communiquaient entre eux afin que le processeur central ait une vision complète de la situation afin d’assister au mieux le porteur. Elle était là la partie la plus importante et la plus cher de cette armure. C’était la partie qui faisait que l’on passait de vulgaire rollers à ce genre de technologie de pointe. Enfin, ça c’est tout l’aspect technique derrière cette armure. Je pourrais parler de ça pendant des heures mais je ne pense pas que cela vous intéresserait. Moi ça me fascine. Déjà quand j’étais petit je dévorais toute la documentation que je pouvais sur les avions de chasse de dernière génération, avec tout leur système informatique embarqué permettant à l’appareil d’effectuer des prouesses techniques.

« Tu recherches quel style ? J’ai trouvé il y a pas longtemps un anime qui s’appelle Texhnolyze. Assez particulier et contemplatif. Le genre que l’on apprécie avec toute la fatigue d’une journée épuisante. Sinon en ce moment, je suis sur la dernière saison de Doctor Who. J’aime beaucoup l’humour anglais. »

Oui, ça faisait un peu discussion de salon de coiffure. Mais que voulez-vous, on passe le temps comme on peut. On n’allait pas non plus brancher les armures au data center pour que ça aille plus vite. Ça coûterait trop cher en temps de calcul, et nous n’étions pas à la minute non plus. Ça nous permettait de débattre de la dernière sortie gros budget au cinéma. Et que comme d’habitude, le scénario avait tellement de trous qu’Emmaüs n’en voudrait même pas comme chiffon, mais que pour le coup, la bande son envoyait du très très lourd.

Un signal sonore indiqua que l’ordinateur avait fini de bosser. J’observais rapidement les résultats. Il n’y avait rien de bien grave. Même s’il y avait une asymétrie dans les temps de réponse des jambes. Pas franchement agréable pour le coup. Ça pouvait perturber l’oreille interne. En quelques clics, je réglais le souci. Somme toute, c’était assez logique : les postures que nous avons tous sont asymétriques, vu que nous avons un côté principal. Par conséquent les servomoteurs s’usaient à des vitesses différentes et ne réagissaient plus de façon similaire. Je rajoutais une note au dossier médical de l’armure. Vu la correction, il faudrait prévoir un changement de quelques pièces d’ici la fin du mois. On était dans la durée de vie prévue de la pièce. Rien d’alarmant au final.

« Voilà, ça devrait être plus pratique à utiliser. Il y avait un écart de réponse entre les deux jambes. Pas forcément très grand mais fatigant à force. J’ai corrigé le problème. Pour le reste, rien à signaler. Et à l’intérieur, ça donne quoi ? Les rembourrages ne sont pas trop inconfortables ? »

Mieux vaut demander. La morphologie de nos chers Wallkyries évoluait en permanence et il fallait régulièrement réadapter l’intérieur de l’armure en moulant de nouvelles pièces plus adaptées. C’était l’un des prix à payer pour donner une sensation d’unicité avec le corps du porteur la plus parfaite possible.

Voilà notre métier, un mélange de technologie de pointe et d’artisanat. Quoi de plus beau ?

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